Rencontre avec Christine Laguerre
Figures emblématiques de la discipline, leurs noms font écho chez tous les pratiquants de horse-ball. C’est pourquoi la rédaction de www.horse-ball.org est allée à la rencontre des personnalités qui ont marqué l’histoire de notre sport.
Leurs souvenirs ? Leurs actions ? Leurs regards sur la discipline ? Les évolutions du sport ? La nouvelle génération ? Autant de questions qui nous permettent de mieux comprendre le horse-ball, son histoire et ses origines.
Le mois dernier, notre rencontre avec Philippe Thiebaut nous amenait en région PACA... pour cette deuxième édition de notre série "Rencontre avec…", la rédaction de www.horse-ball.org vous propose de rester dans le Sud de la France à la rencontre de la plus emblématique des joueuses de horse-ball : Christine Laguerre... connue et reconnue également sous son nom de jeune fille, Christine Orgels !
Présente depuis les débuts de la discipline, Christine Laguerre est également à l’origine de la mixité du horse-ball. Entre combats contre les instances, regards de ses adversaires et performances sportives, Christine nous livre un point de vue saisissant sur une discipline qui a "rythmé chaque étape de sa vie!" Sa vision, son histoire, ses combats, ses résultats... autant d’informations qui rappellent que les joueurs d’aujourd’hui sont le fruit de l’engagement et de la passion de certains acteurs pour l’évolution de notre sport.
Entre petites déceptions et grandes victoires, plongez vous dans l’univers de la joueuse la plus capée du horse-ball mondial.
Christine Laguerre. |
. Bonjour Christine, vous êtes présente depuis les débuts de la discipline. Quel visage avait alors le horse-ball ?
Bonjour, je suis effectivement présente sur les terrains de horse-ball depuis un certain temps... Je devais avoir une dizaine d’années quand notre moniteur, un certain Yannick Le Gall (ndlr : père de Mikel Le Gall), nous a mis un ballon muni de anses dans les mains, pour des séances de ce que l’on nommait alors le "pato". J’ai été immédiatement séduite par ce jeu qui combinait ma passion pour l’équitation et mon attirance pour les sports collectifs de balle. Nous avions la chance d’être dans une région "berceau" de l’activité. Un petit championnat régional, avec les clubs de Saint Rémy de Provence, Salon de Provence, Aix en Provence, Marseille... s’était mis en place. Il n’existait alors qu’une seule catégorie jeune sur poneys, où l’on ne devait pas avoir plus de 15 ans et mesurer plus d’1m60 ! Un point de règlement vraiment absurde, compte tenu de la croissance des ados, et qui a d’ailleurs valu à mon frère (ndlr : Laurent Orgels) et un autre co-équipier d’être privés des premiers championnats de France à Saumur en 1985, pour avoir pris quelques centimètres dans la saison !
Christine Laguerre à coté de Philippe Thiebaut pour le 1er Championnat de France Poney en 1985 à Saumur (France). |
Le horse-ball était alors intégré aux jeux équestres, chaque région se déplaçait avec sa délégation. Pour la première fois, les titres de champion de France "poneys" et "féminines" étaient décernés suite à des phases finales regroupées sur 3 jours (quarts, demi et finale). J’ai eu la chance d’y participer après que Philippe Thiebaut (déjà !) m’ait appelée dans sa sélection régionale. Nous avons remporté le titre dans une finale qui nous opposait aux Pays de Loire, où sévissait déjà Marie Quetier...
En ce qui concerne les catégories seniors mixtes, il existait un championnat depuis la fin des années 70. Il y avait à l’époque la division 1 qui comptait 8 équipes et se disputait sous forme de matchs allers simples jusqu’en 1987 où les matchs retour furent instaurés. La division 2 regroupait une cinquantaine d’équipes qui se rencontraient dans un premier temps en phases régionales, puis les 8 meilleures ensuite en phases finales sur 3 jours, à l’instar des poneys et des filles.
. Qu'en était-il du horse-ball féminin ?
Le horse-ball féminin en était également à ses débuts. Notre région était relativement active sous l’impulsion d’enseignants/entraineurs comme Yannick Le Gall, Philippe Thiebaut, Jean-Marc Toussaint, Claude Michelet ou encore Patrice Cottin... Cela dit, rapidement, c’est la formation normande d’Agon-Coutainville qui s’est positionnée comme leader du circuit. En 1989, les meilleures équipes féminines ont voulu créer une catégorie 1ère division avec des matchs "allers / retours"... Seules 4 formations suivirent !
. Comment l’idée de mélanger les hommes et les femmes dans les équipes est-elle apparue ?
Cette question ne s’est jamais vraiment posée à ce moment là. La mixité était admise dans toutes les catégories (même si à l’époque les filles étaient moins nombreuses !). Il se trouve qu’en 1986, une joueuse qui évoluait en 1ère division a subi un choc au cours d’un match. Jean-Paul Depons, alors président de la commission nationale de horse-ball, a donc décrété qu’il était trop dangereux pour une fille de jouer à ce niveau là ! Cette décision n’a visiblement pas soulevé beaucoup d’émoi à l’époque. Je n’ai même jamais eu l’occasion de discuter avec cette joueuse pour savoir si elle avait été révoltée ou amère d’être ainsi mise à l’écart... En ce qui me concerne, je n’avais que 13 ans, et, même si je jouais déjà en 2ème division mixte, je ne me sentais absolument pas concernée par cette interdiction !
Jean-Paul Depons. |
. Quel a été votre rôle dans le combat de la mixité dans le horse-ball ?
J’ai envie de répondre... Déterminant ! En 1989, notre équipe de Mallemort remporte le titre en 2ème division. L’euphorie de la victoire et l’accession à la division suprême (l’élite d’aujourd’hui) qui en découle vire rapidement à la désillusion en ce qui me concerne : pas de place pour le sexe faible à ce niveau là ! Malgré mes requêtes auprès de Jean-Paul Depons, je dois me résoudre à laisser mes coéquipiers poursuivre l’aventure sans moi. Face à mon immense désespoir, devant ce que l’on considérait comme une injustice, mes parents décident alors de mener le combat pour que je puisse réintégrer mon équipe. Durant deux années, les courriers, auprès des instances fédérales, dans un 1er temps, puis aux ministères des droits de la femme et de la Jeunesse et des Sports, vont se multiplier. Une pétition, lancée dans toute la France, suite à la décision prise par la commission de horse-ball de supprimer la mixité en 2ème division (nous avions appuyé dans notre argumentaire le fait qu’il était illogique de concevoir une 2ème division mixte qui aboutisse sur une première division masculine) va mobiliser davantage d’équipes et de joueuses dans ce qui n’était jusque là que mon combat personnel.
Je ne saurais dire exactement quel élément déterminant a fini par faire plier Mr Raymond Brousse, alors Président de la FFE. Mais, alors que je n’y croyais plus vraiment, je n’oublierai jamais ce jour d’été 1991, pendant les championnats de France inter-régions qui se tenaient à Périgueux, lorsqu’il m’a annoncé de vive voix, et grand sourire aux lèvres, que j’allais pouvoir rejoindre mon équipe dès le début de la saison suivante ! Le retour officiel à la mixité a encore demandé une paire d’années. J’ai, dans un 1er temps, eu droit à une dérogation exceptionnelle. Il a ensuite été accordé aux équipes d’intégrer "UNE" joueuse dans leur effectif... Puis autant qu’elles le souhaitaient, mais en se soumettant toutefois à une sorte de "super visite médicale", par un médecin fédéral agréé... Bref, la mixité a été officialisée peu avant la fin saison 1993/1994.
La fiche portrait de Cheval Magazine consacrée à Christine Laguerre au début des années 90. |
. Dans notre précédente interview, Philippe Thiebaut nous rappelait que votre sélection en équipe de France avait mis un point final aux discussions autour de la mixité du horse-ball. En aviez-vous conscience au moment de cette fameuse sélection ?
Je pense que Philippe Thiebaut à fait le forcing pour obtenir l’officialisation du retour à la mixité à ce moment là justement pour pouvoir me retenir dans la sélection nationale annoncée au Haras de Jardy, au terme de la saison. Et, même s’il a toujours défendu la mixité, j’ose espérer qu’il m’a appelée en équipe de France avant tout pour des raisons sportives ! J’étais capitaine d’une équipe qui venait de réaliser le doublé "coupe/championnat", j’ai fini 2nde au classement des buteurs... J’imagine que son choix était justifié et ma sélection méritée !
L'équipe de France Pro Elite en 1994 pour le Championnat d'Europe à Golega (Portugal). De gauche à droite et du haut vers le bas : Jean-Marc Brun (Kiné), Raphaël Dubois, Frédéric Petrequin, François Ponçon, Philippe Thiebaut (Entraîneur), Gildas Lefort, Thomas Soubes, Christine Laguerre & Luc Laguerre. |
. Vous avez connu les débuts de la discipline. Auriez-vous imaginé ce développement pour le horse-ball ?
Je pense avoir fait partie des acteurs les plus passionnés, enthousiastes et investis de la discipline ! Le horse-ball, je l’imaginais dans des stades remplis de milliers de spectateurs ! Un sport aussi fabuleux ne pouvait que séduire le public, les médias, les sponsors... Avec le temps, un peu plus de sagesse peut être, mais surtout de lucidité, j’ai compris qu’il faudra encore un peu patienter avant d’être sous les feux de la rampe. Cela dit, il ne faut pas occulter l’envol qu’a connu notre discipline sur les 20 dernières années. En terme de pratiquants, de reconnaissance, de communication... beaucoup de choses restent encore à accomplir, mais le horse-ball s’est développé de façon significative, ce qui laisse augurer un futur encore plus radieux.
. Concernant son développement actuel, certains voient une certaine forme de stagnation, notamment au regard de ce qui a été accompli il y a une quinzaine d’années. Qu’en pensez-vous ?
A une époque, on pouvait se poser la question de l’avenir du horse-ball. Aujourd’hui, avec la manne de joueurs qui viennent grossir chaque année davantage les équipes aux championnats de France jeunes, on peut légitimement espérer que la discipline a de belles années devant elle. Pour autant, cela reste un sport exigeant et parfois ingrat pour ses pratiquants, d’autant plus lorsque l’on monte dans les niveaux. Les déplacements sont de plus en plus lourds, et la plupart des clubs ne peuvent plus fournir de chevaux adaptés au haut niveau. Il faut donc tenir compte des frais d’achat et d’entretien du cheval, en plus du coût de la saison. Cela demande de gros sacrifices en temps, en énergie et financiers... Beaucoup de joueurs décrochent face à ces contraintes. Le bas blesse également au niveau international, où ça végète, voire régresse dans certains pays... La Coupe d’Europe ne compte pas plus d’équipes qu’à sa création, et la dernière Coupe du Monde, même si elle a eu le mérite d’exister, n’a quasiment regroupé que des nations européennes. Il y a eu très peu de retombées médiatiques et économiques. Grâce à internet et les nouveaux moyens de communication, il y a bien sûr des contacts avec des pays plus lointains, tels que la Chine, l’Argentine, le Canada, l’Australie... Mais cela reste sporadique et sans suite concrète. Le peu de rendez-vous (9 étapes par an) proposés par le championnat Pro Elite et les échéances internationales quasi nulles, ne peuvent actuellement attirer de façon durable les médias, et par la force des choses, les sponsors. Le manque de moyens financiers est un frein au développement économique de la discipline et sans aides supplémentaires, on ne peut pas demander aux équipes de disputer une saison plus consistante.
L'équipe de Grans en 1994. De gauche à droite et du haut vers le bas : Patrick Buray, Jean-Marc Toussaint (Entraîneur), Laurent Orgels, Jean-Philippe Blanc, François Ponçon & Christine Laguerre. |
. Selon-vous quels leviers permettront à la discipline de se désenclaver et de franchir une nouvelle étape dans son développement ?
Si l’on convient que la base, le développement chez les jeunes est indispensable, il faudrait mettre davantage en avant le haut niveau. C’est cette vitrine qui va donner envie aux enfants de continuer. Il n’y a qu’à voir l’engouement que suscitent les apparitions de l’équipe de France pendant les championnats de France à Lamotte-Beuvron. Ce sont également ces équipes qui vont attirer les partenaires. Peut-être faudrait-il retrouver des lieux d’organisation plus prestigieux, plus porteurs, avec davantage de public, initié ou non, s’inspirer des "shows" à l’américaine pour valoriser le spectacle. D’autre part, il serait judicieux de donner plus de moyens aux quelques personnes qui produisent bénévolement de superbes images et se donnent du mal à monter de jolis clips à partir d’extraits de matchs. Produire de belles vidéos et les diffuser plus largement sur le net pourrait, pourquoi pas, être un moyen de séduire d’éventuels sponsors ou mécènes.
. Selon-vous à quoi ressemblera le horse-ball à l’horizon 2030 ?
Comment savoir ! Je me souviens que Jean-Paul Depons avait lancé le slogan "Horse-Ball, sport de l’an 2000" ! J’y croyais ! Et j’aimerais y croire pour 2030 ! Je pense que le sport a évolué favorablement et établi sa pérennité. La communication est essentielle pour prendre de l’ampleur et élargir les horizons. Actuellement, les moyens dont on dispose n’ont rien à voir avec ceux de l’époque. Il y a 30 ans, et même moins, les horse-balleurs passaient pour des sauvages auprès des instances fédérales.
Aujourd’hui, après moult modifications de règlement, concernant essentiellement la sécurité, tant des joueurs que des chevaux, ce n’est plus le cas. Je crois même que le horse-ball est jalousé pour l’engouement qu’il suscite auprès du public. L’enthousiasme des équipes de France et leur succès à l’applaudimètre lors de la cérémonie d’ouverture des JEM sont la preuve de la popularité de notre discipline. Les médias qui couvraient l’événement en ont fait choux gras et les intervenants ne se lassaient pas de rappeler le passé de horse-balleur d’Arnaud Serre, meilleur cavalier français de dressage ! Cela prouve le capital sympathie du horse-ball. Sans rentrer dans les polémiques du moment (référence à la chanson des enfoirés) ce sont aux nouvelles générations de se prendre en main et de reprendre le flambeau !
. Comme dit précédemment, vous avez été sélectionnée en 1994 en Équipe de France Pro Elite. En 2003, vous êtes une nouvelle fois appelée à porter le maillot tricolore, mais pour le compte de l’équipe Ladies. Quel était alors votre état d’esprit ? Heureuse d’être à nouveau sélectionnée ou déçue d’être écarté du groupe Pro Elite ?
Ma sélection en 1994 a été un vrai gage de reconnaissance. Elle a récompensé certes mon combat pour la mixité, mais surtout mes efforts pour atteindre le niveau requis en équipe de France. Mon cheval, hélas, est mort de coliques quelques mois plus tard, et j’ai dû attendre 1998 avant d’être à nouveau appelée chez les bleus. Quand on a vibré au son de la Marseillaise, on y prend vite goût, et on a toujours ce graal dans un coin de sa tête... D’autant plus que vos performances individuelles et les résultats de l’équipe (entre 1992 et 2008, 4 fois seulement mon équipe n’est pas montée sur le podium) vous permettent d’y croire. Mais dès lors qu’il a été crée une coupe d’Europe féminine, et donc et une sélection nationale, j’ai fait le deuil d’une nouvelle participation avec les garçons. D’un autre côté, me retrouver capitaine de l’équipe de France féminine, transmettre les valeurs du groupe France, essayer de faire passer des messages d’exemplarité et de respect, indissociables du maillot tricolore, fut un exercice qui ne m’a pas déplu.
Christine Laguerre aux cotés de de Frédéric Petrequin sous les couleurs de l'Equipe de France lors du Championnat d'Europe Pro Elite en 1994 à Golega (Portugal). |
. Vous êtes la seule joueuse à avoir connue les deux équipes de France. Y-a-t il une différence, dans la cohésion du groupe, dans les rivalités internes, dans l’appréhension des matchs ?
Disons que mon approche n’a pas été la même avec les deux groupes. Pour ma première sélection avec les garçons, même si je les connaissais bien pour la plupart, je suis arrivée sur la pointe des pieds, presque timidement. Malgré quelques réflexions un peu taquines au début, l’intégration a été très rapide, je me suis sentie très vite faire partie de la "bande" ! L’équipe était soudée, je n’ai pas senti la moindre rivalité entre les joueurs, au contraire, l’ambiance était bon enfant. Ce n’était que la 3ème coupe d’Europe, mais des joueurs comme Thomas Soubes, Luc Laguerre, Frédéric Petrequin ou encore Gildas Lefort avaient déjà participé à des tournées à l’étranger (Francfort, Wembley, Golega...) organisées par Jean-Paul Depons depuis 1988. Il existait de fortes affinités et un mode de vie bien calé. En 1998, et bien que l’équipe affichait des individualités avec des égos peut être encore plus marqués (Laurent Motard, Jérémy Mazeron - entre autres) la cohésion et la bonne humeur étaient à nouveau au rendez-vous. Pour autant, tout le monde était au garde à vous et très sérieux au moment de préparer les séances d’entraînement et les matchs. Philippe Thiebaut était assez strict, il fixait un cadre de fonctionnement, il ne s’agissait pas d’en sortir sous peine de s’attirer ses foudres !
Christine Laguerre sous les couleurs de l'Equipe de France lors du 1er Championnat d'Europe Ladies en 2003 à Abano Terme (Italy). |
En ce qui concerne la première sélection féminine, c’était un peu différent. Les filles se connaissaient moins et il n’y avait aucun vécu, pas d’anecdotes à se raconter, pas de blagues récurrentes, pas d’habitudes, bref pas d’histoire commune. Mais au fil des ans, un noyau dur s’est crée, à l’instar des garçons, et l’ambiance est vraiment devenue agréable. Il y avait davantage de complicité et, par la force des choses, de solidarité. En tant que capitaine, je me devais de maintenir cet état d’esprit. Et, bien qu’il puisse paraître délicat de faire cohabiter 8 filles pendant plus de dix jours, je n’ai que rarement eu l’occasion d’intervenir pour des problèmes d’égo ou d’indiscipline.
. Si l’on reprend toutes les saisons depuis 2006, vous êtes la femme la plus souvent présente en Pro Elite. Au total, seulement 9 femmes affichent une présence dans un effectif de Pro Elite. Selon vous, à quoi cela est-il dû dans un sport qui se veut mixte ?
Je trouve cette question un peu tendancieuse, sans prendre la mouche... Il est bien évident que dans les sports collectifs de balle, les filles ne peuvent dans leur ensemble rivaliser avec les garçons. C’est, j’ai envie de dire, ce qui fait le charme du horse-ball, car il ne faut pas perdre de vue qu’il reste un sport équestre, où la mixité est de mise, même au niveau olympique ! L’élément "cheval" gomme l’essentiel de la différence purement physique. Mon cheval est aussi fort, résistant, entraîné, galope aussi vite que ceux des garçons, et, probablement, mieux dressé que la plupart des leurs... Malgré cela, il existe une réelle différence de niveau entre les garçons et les filles qui s’accentue en montant dans les divisions. Je ne tiens pas compte des catégories jeunes où il existe encore un certain équilibre. Je pense que cela est dû pour beaucoup au fait que la discipline retient beaucoup plus de garçons que de filles comparé à l’équitation en général (80% de licenciées). Ces garçons là sont, pour la plupart des gens sportifs, qui pratiquent d’autres sports, qui ont une certaine culture de l’effort physique et qui se donnent les moyens d’améliorer en parallèle leur technique individuelle. Pour l’immense majorité d’entre elles, les formations féminines donnent le sentiment d’être constituées de copines de club qui montent une équipe de horse-ball pour le fun, sans réel travail derrière. Elles se contentent d’imiter le modèle masculin, sans tenir compte des différences physiques. J’entends par là qu’elles se retrouvent souvent sur des montures trop puissantes dont elles ne contrôlent pas toujours la vitesse et les trajectoires et produisent un jeu direct sans beaucoup d’inspiration. Le choix de la cavalerie est essentiel et le dressage indispensable. Régulièrement, on assiste à des rencontres où les joueuses sont emmenées par des chevaux trop forts et insuffisamment dressés. Comment soigner son toucher de balle, alors que l’on est déjà en difficulté, pendue à deux mains sur les rênes, pour tenter de piloter son cheval ? Il est regrettable qu’elles ne soient pas dans un registre plus "féminin", en recherchant plus de fluidité, jouant en évitement et en s’appuyant sur une meilleure circulation de balle. Les filles qui évoluent en élite mixte ne sont ni plus ni moins celles qui se donnent les moyens physiques et techniques de s’aligner au plus haut niveau. Il n’y en a eu que 9 à ce niveau, mais elles avaient leur place, personne n’a forcé leurs équipes à les aligner dans l’effectif. En descendant dans les catégories, les proportions évoluent, il n’y a plus beaucoup de Benoit Levêque pour vous dépouiller sur les terrains, elles peuvent tirer davantage leur épingle du jeu.
Christine Laguerre sous les couleurs de l'Equipe de France lors du Championnat d'Europe Ladies en 2007 à Rennes (France). |
Il ne faut pas nier l’engagement et toute la dimension physique du horse-ball, il y a des secteurs de jeu (la défense, certaines situations de ramassage...) où l’on ne peut pas s’échapper. Mais, le niveau équestre, la technique individuelle, l’adresse, l’habileté, la connaissance du jeu, la "vista", qui ne sont pas l’apanage des hommes, peuvent permettre aux femmes, en tous cas à certaines d’entre elles, de se faire une place au soleil. La mixité peut paraître une originalité, mais reste un atout pour notre sport. Beaucoup de centres équestres sont incapables d’aligner des équipes exclusivement masculines ou féminines, surtout s’ils sont dans la continuité des championnats jeunes où les filles restent plus nombreuses. En montant dans les catégories, les plus performants s’imposent... Garçons ou filles... La porte est ouverte, profitez en, cela n’a pas toujours été le cas !
. Dans le jeu, sentez-vous une différence de traitement de la part de vos adversaires masculins ?
Quand j’ai enfin accédé à l’élite (division 1 à l’époque) en 1991, je me suis retrouvée face à des équipes qui n’étaient pas toutes favorables à la mixité. J’ai bien sur eu droit à quelques réflexions et marquages appuyés, plus ou moins contestables... je me gardais bien d’aller défier les plus grands et plus costauds, mais je ne me suis jamais défilée ni plainte. Ce petit traitement de faveur n’a d’ailleurs pas duré bien longtemps. Rapidement, les joueurs ne se sont plus focalisés sur mon genre mais plutôt sur mon jeu qui s’avérait relativement efficace (les premières saisons, je finissais toujours dans les 5/6 meilleurs buteurs). Depuis ces temps anciens, où la plupart des joueurs actuels faisaient leurs premiers pas en poussin, je fais un peu comme partie des meubles ! La mixité n’est plus un sujet brûlant. Je suis "un" joueur parmi d’autres sur le terrain, pas de cadeau, mais pas d’acharnement non plus ! Je pense que ma longévité au plus haut niveau et le fait d’avoir évolué en Equipes de France m’ont donné un statut de légitimité dans un monde qui reste presque exclusivement masculin.
. Jusqu'à quand peut-on espérer vous voir évoluer sur les terrains, peu importe la catégorie ?
Cette question, je me la pose tous les ans ! En 2008, au terme d’une saison compliquée, Luc (ndrl : Luc Laguerre, mari de Christine) et moi avons décidé d’arrêter le haut niveau. Le plaisir pris sur le terrain (malgré quelques fulgurances, notamment une victoire sur Chambly, jusque là invaincu et qui fini Champion) ne compensait plus les sacrifices consentis toute l’année. Je n’ai pourtant pas pu m’empêcher de faire quelques piges la saison suivante avec la jeune génération aramonnaise. Avec quelques anciens, dont Jean-Christophe Le Blanc, nous avions également monté une équipe qui disputait le championnat régional, histoire de toucher au ballon pour s’amuser. En 2010, Nicolas Thiessard, Benoît Levêque et Mikel Le Gall sont venus frapper à notre porte en quête d’un entraîneur et de joueurs pour compléter leur effectif... Comment résister ? Je m’entraînais assidûment avec Aramon depuis deux ans, j’avais un bon cheval, je me sentais en forme, c’était trop tentant ! J’ai donc posé ma candidature ! Luc Laguerre a pris les rênes du groupe, complété par Mathieu Laguerre et moi-même... (N’y voyez aucun favoritisme !). Un choix, en ce qui me concerne controversé au départ, mais finalement validé par un titre obtenu de manière incontestable et incontesté ! Je pouvais dès lors m’arrêter sereinement, partir sur une bonne note. Cependant, les arlésiens, qui préfèrent n’aligner que 5 joueurs sur leur feuille de match, m’ont demandé d’assurer le rôle de joker "médical", en cas de pépin en cours de saison. Honnêtement, j’étais ravie d’être encore considérée comme apte au service. Depuis, j’ai fait régulièrement des apparitions en championnat et en Champions League. Et, même, si je suis consciente d’être aujourd’hui un choix par défaut, c’est toujours un plaisir et un honneur de porter le même maillot que ceux que je considère comme les meilleurs joueurs de la planète horse-ball ! Cela dit, il faut être lucide (faute d’être raisonnable !), il est de plus en plus difficile d’être au niveau quand on se trouve parachuté comme ça dans la fosse aux lions, de manière épisodique. Surtout lorsqu’il s’agit de la meilleure équipe de France qui vise le titre chaque saison ! Les entraînements ne suffisent plus à combler le manque de rythme. Personne n’attend de moi de faire la différence dans les moments tendus, mon challenge est plutôt de ne pas faire le "trou" ! Je continuerai avec plaisir d’être leur "sparing partner" à l’entraînement, mais, pour ce qui est des matchs, il serait normal d’envisager de passer la main.
Christine Laguerre sous les couleurs de l'équipe d'Arles HCC lors de la Champions League 2013 à Wiener Neustadt (Austria). |
Parallèlement, nous avons monté une équipe d’anciens (Jean-Christophe Leblanc, Raphaël Dubois, Fabien Gonnet, Luc Laguerre et moi), affectueusement rebaptisée "les dinosaures", voire "fossiles", ou encore "maison de retraite", je tiens néanmoins à préciser que nous finissons premiers de notre région... Même si l’objectif est purement ludique, on a du mal à envisager la défaite ! On ne se refait pas ! Bref, tant que mon corps ne me jouera pas de trop mauvais tours, je continuerais la pratique du horse-ball, même si je ne participe plus à des rencontres officielles ; La catégorie vétéran n’existe pas, hélas, ça aurait pu être marrant... ou pathétique ! Je garde quand même dans un coin de ma tête l’espoir de fouler le terrain aux cotés de mes filles, juste pour quelques rencontres.
. Merci Christine Laguerre d’avoir pris le temps de répondre à toutes nos questions. Nous vous souhaitons une bonne continuation !
CHRISTINE LAGUERRE
Je suis née en 1973 à Bruxelles, mais j’ai toujours vécu à Saint Rémy de Provence où je réside encore aujourd'hui. J’ai commencé l’équitation à l’âge de 8 ans dans le club hippique local, avec Yannick Le Gall pour moniteur. Suite à la fermeture du centre équestre de Saint Rémy de Provence il nous a, mon frère et moi (ndrl : Laurent Orgels), orientés vers Mallemort, où son coéquipier de l’équipe de Salon de Provence, Jean-Marc Toussaint, enseignait. Après avoir longtemps défendu les couleurs de Grans avec Jean-Marc comme entraîneur, j’ai retrouvé Yannick Le Gall, installé sur Arles, accompagné d’un groupe constitué essentiellement par affinités (Jean-Christophe Le Blanc, Fabien Gonnet, Arnaud Serre...). Je mesure ma chance d’avoir eu ces 2 formateurs. Sans parler de leur passion pour le horse-ball, ils m’ont transmis les bases de l’équitation et inculqué l’importance de l’attention et du respect à apporter aux chevaux. Le travail, les soins, le souci de leur bien être, tant physique que moral, ont toujours été au cœur de la préparation des échéances sportives. Ce sont quand même eux qui fournissent l’essentiel de l’effort physique, et il est primordial de penser à les préserver. Mes chevaux et ceux de Luc Laguerre ont tous une longévité moyenne de 10 ans, voire plus, sur les terrains. Le côté équestre de notre sport est trop souvent négligé par les nouvelles générations qui misent tout sur leur habileté et la vitesse de leur monture. Pourtant, la complicité cavalier/cheval est indispensable à la performance et cela prend parfois du temps.
En 1999, j’ai rejoint Luc Laguerre à Aramon qui reste mon club de cœur, où j’ai trouvé, non seulement une équipe, mais une famille, que ce soit les Laguerre, ou tous les nombreux bénévoles qu’ils ont su mobiliser autour d’eux. Bien que purement associatif, le club d’Aramon reste une référence dans l’histoire du horse-ball.
J’ai eu la chance d’avoir des parents qui, bien que totalement étrangers au monde de l’équitation, m’ont toujours suivie, soutenue et accompagnée notamment financièrement... En effet parallèlement à des études menées avec le plus grand laxisme (licence d’histoire), j’ai pu consacrer beaucoup de temps et d’énergie au horse-ball. J’ai fait pas mal d’arbitrage, ce qui m’a amenée à traverser toute la France, et rencontrer à peu près tous les acteurs de notre discipline.
En 1993, Jean-Paul Depons m’a demandé d’intégrer la commission nationale pour y représenter les féminines ; après des années d’affrontements, un respect sincère et mutuel avait chassé les rancœurs et nous étions devenus beaucoup plus proches. Il m’avait d’ailleurs confié, avec l’aide de Philippe Thiebaut, la rédaction d’un manuel pédagogique sur le horse-ball ("être joueur de horse-ball", aux éditions Lavauzelle). Il avait pu noter, aux débuts des années 90, que j’avais la plume facile, lorsque j’avais crée de façon vraiment rudimentaire et artisanale la 1ère gazette sur le horse-ball "Tagada Ball" ! (avec l’aide inconditionnelle de ma mère…).
En 1997, j’ai obtenu mon diplôme d’enseignant d’équitation après une année de formation sous le giron de Yannick Le Gall. Occasionnellement appelée à animer des journées d’initiation au horse-ball pour les élèves moniteurs de la région PACA, ou encore faire partie du jury pour l’option horse-ball au monitorat, je n’ai jamais enseigné officiellement. Aujourd’hui, je tente de conseiller mes filles de 12 et 14 ans à qui, il semblerait, nous avons transmis le virus ! J’ai de petites écuries à la maison qui occupent l’essentiel de mon temps en plus de l’entretien de la propriété.
Bref, voilà plus de 30 ans que j’ai découvert le horse-ball. Il a rythmé chaque étape de ma vie ; j’y ai rencontré beaucoup de mes amis et mon époux avec qui nous partageons cette passion commune depuis 20 ans. Aujourd’hui, nos filles reprennent le flambeau et nous ramènent un peu plus dans cet univers que l’on connaît par cœur.
Le horse-ball m’a procuré des émotions intenses, l’adrénaline des matchs, bien sûr, mais surtout des moments de partage, de complicité, d’amitiés fortes. Ce sport est magique et j’espère vivement qu’il obtiendra un jour la reconnaissance qu’il mérite ! De mon vivant, ce serait chouette... !
L'équipe de France Ladies en 2007 pour le Championnat d'Europe à Rennes (France). De gauche à droite et du haut vers le bas : Safya Albes, Patricia Joyet, Sabine Jourcin, Marianne Lecorre, Christine Laguerre, Clémence Lamothe, Marie Quetier & Eve Segear. |
Publié par Dominique le 13-04-2021 11:53
Bonjour,
Que de souvenirs avec les cavaliers de la forge
A bientot
Dominique Balcet
Publié par laurent le 27-03-2015 19:57
Merci pour ces informations
Un premier match, vu un peu par hazard de l'equipe pro elite de Harles ou jouait Madame Laguerre m'a fait decouvrir ce 'vrai' sport qu'est le horse ball
Sportif depuis mon enfance ayant touche a plusieurs sports mais degoute au fil du temps de tous ces sport ou il n'est plus question que d'argent et de violence gratuite
je deplore qu'il n'y ait pas plus de publicite pour ce sport
je suis persuade qu'il toucherait enormement de personnes
Publié par gecko le 26-03-2015 10:43
Un grand merci pour cette excellente interview qui nous en apprend davantage sur l'histoire de ce sport qui nous passionne tant et surtout un grand merci a Christine pour son engagement, son talent et cette formidable carriere ( pas tout a fait terminee si je comprends bien)